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Un déménagement inévitable

Après avoir connu de nombreuses difficultés pour réussir à repenser une «nouvelle société salloise »une page était en train de se tourner pour l'ensemble des habitants de la vallée. L'année 1973 fut sans aucun doute la pire année pour tous ceux qui durent déménager et se trouver un autre endroit pour vivre. Dans la partie qui suit, je vais tenter de rendre compte des derniers temps au village, ainsi que de la coexistence des deux villages des Salles.

«Durant l'été 1972, l'ancien village était comme il avait toujours été. En septembre 1972, les cloches de l'église et le cimetière étaient transférées de la vallée vers le nouveau village. Au début de 1973, toute la végétation du fond de la vallée était éradiquée. Au printemps 1973, quelques maisons inhabitées avaient déjà perdu leurs toits de tuiles rondes ; cependant à l'intérieur du village la vie continuait et rien ne permettait d'imaginer ce qui allait se passer. Fin juillet 1973, la fête de la "Sainte Anne" avait lieu pour la dernière fois dans les vieux murs du village. Quelques jours après, Fontaine L'Evêque disparaissait. Durant l'été 1973, les déménagements et les démolitions se multipliaient ; à la fin de l'été il était difficile, bien qu'encore possible, de trouver un endroit du village préservé des symptômes de la démolition. Au milieu de ces maisons démolies les Sallois continuaient de vivre. A la fin de l'année 1973, le village semblait avoir été victime d'un bombardement... En février 1974, les derniers habitants évacuaient des monticules de ruines. »[Bulletin Mémoire vive N^3, 2001 : p.5].

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Figure6. Une des dernières habitantes qui tente de garder la rue propre

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Figure7. Le village peu de temps avant son éradication

C'est ainsi que peut se résumer la lente agonie du village des Salles-sur-Verdon. En moins de deux ans c'est donc l'ensemble de vallée qui est rasée et transformée en un vaste désert. Mais durant ce laps de temps deux villages des Salles-sur-Verdon ont coexisté. Alors que la première pierre du nouveau village est posée dès le mois de juillet 1970, il faudra attendre fin 1973 pour voir terminer les infrastructures qu'EDF s'était engagée à reconstruire. Durant l'année 1973, la vie du nouveau village s'organise tant bien que mal au milieu d'un véritable chantier et dans le même temps le vieux village est lentement démantelé. Comme je l'ai montré plus haut la démolition s'est faite en plusieurs étapes, les maisons des résidents secondaires seront les premières à être détruites mais dès qu'elles sont déménagées on détruit les toitures pour éviter qu'elles ne soient «squattées ». C'est donc au milieu des ruines que vivent les derniers habitants, et seules les maisons qui comportent des matériaux de qualité, comme les tuiles, les poutres ou les tours de portes sont toujours debout, l'ancien village devient une véritable mine d'or pour les brocanteurs et les pilleurs qui se servent abondamment en matériaux de toute sorte. Sur certaines photographies de cette période, on peut voir les marques faites sur les maisons où quelqu'un veut récupérer quelque chose, sinon la destruction est très rapide, ainsi d'après M.G «Nous avons déménagé au mois de janvier 1974, et quand on est revenu une semaine plus tard il ne restait plus qu'un tas de pierre de notre maison, elle avait été complètement rasée, mais bon c'était pareil pour tout le monde». Ceux qui ont décidé de rester au nouveau village doivent reconstruire leur nouvelle maison avec des directives précises, ils récupèrent donc ce qu'ils peuvent sur leurs vieilles maisons, notamment les tuiles, car d'après le cahier des charges de l'architecte les toitures doivent être couvertes de tuiles vieillies pour donner aux habitations un style provençal. Vu la faiblesse des indemnités d'EDF, tout ce qui pouvait être récupéré permettait de faire des économies, en tout cas lorsque les pillards ou les entreprises de démolition en laissaient le temps...

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Figure8. La place du village, on voit en arrière plan que les tours de portes de la poste ont été récupérés.

Les premiers habitants du nouveau village ont été les propriétaires de l'auberge et de l'hôtel. D'après M.A., «Quand on a ouvert, c'était au mois de juillet 1973, le village était un véritable chantier, rien n'était terminé à part l'école, la mairie, la poste et l'église. Nous, il fallait qu'on ouvre en-haut, mais on avait toujours l'auberge en-bas, alors ma femme travaillait en haut et moi en-bas, parce que c'est là que venaient manger les ouvriers et c'était mieux que ce soit moi qui m'occupe d'eux, comme ça en-haut ma femme pouvait faire venir nos premiers clients ». D'après M.G. «Au début le village ne ressemblait pas à vraiment grand chose, les lots de la première tranche avaient été vendus, mais toutes les maisons n'étaient pas construites. Moi, ma maison se situe du côté des gorges, parce que c'était la seule où on pouvait avoir un grand jardin et ma grand-mère en voulait absolument un, mais quand elle a été terminée elle était toute seule isolée, et mes amis me disaient qu'on aurait dit un mirador. Aujourd'hui, on n'a plus cette impression parce qu'on a construit des maisons autour, mais au début les Salles c'était comme ça, les maisons étaient comme de gros champignons qui poussaient un peu partout.». Ainsi on comprend bien que les premiers temps au nouveau village n'étaient pas vraiment gais, toutefois il fallait que la vie s'organise pour que ce nouveau village reprenne un semblant d'humanité. D'après M. A.«C'est vrai que ce village était un vrai chantier, il y avait plein de poussière mais bon, on avait choisi de rester et donc il fallait s'atteler à la tâche, parce que maintenant qu'on était installé il fallait travailler dur pour payer les crédits. En fait les clients sont venus dès qu'on a ouvert, il y avait bien sûr les habitués, mais surtout il y avait les curieux. Mais alors au début, ça nous faisait un peu rigoler mais bon, ils se rendaient pas trop compte... Ils nous disaient : "Ah ! C'est bien, on vous a reconstruit un beau village avec de belles maisons, quand même vous vous en êtes bien tirés." Alors au début ça allait, mais bon au bout d'un moment ça nous gonflait de les entendre dire ça, ils se rendaient pas compte du sacrifice qu'on avait fait ». Car il faut souligner que l'opération des Salles-sur-Verdon a déchaîné la presse locale pendant plusieurs années, et pour beaucoup d'habitants de la région qui entendaient parler de cet événement la réalité n'était pas mise en avant. En fait on a, en quelque sorte, assimilé le nouveau village à un Eldorado, les projets que l'on y prévoyait étaient gigantesques, les inaugurations des nouveaux commerces faisaient l'objet d'articles dans la presse locale, et après avoir exploité le malheureux destin des Sallois, la presse s'est ruée pour montrer un futur positif et fructueux. Pour les médias le nouveau village était plein d'espoir, les nouveaux Sallois avaient tourné la page mais la réalité n'était pas aussi reluisante : «La transition entre une activité agricole et une activité uniquement touristique est très difficile. De plus la période du barrage a laissé des traces. Le nouveau village n'a pas d'âme, les Sallois sont divisés, aigris, mal dans leurs maisons trop neuves, ils sont traumatisés et il faudra du temps pour faire disparaître ce mal»[Simian : p.9].

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