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La décision des travaux d'utilité publique ou l'aboutissement du rêve de la domestication de l'eau

Pour bien comprendre le pourquoi du barrage de Sainte Croix, il me faut remonter un peu dans le temps, afin que le lecteur comprenne bien que ce barrage permettait de répondre aux attentes de toute une région. En effet, l'eau a un rôle dans l'aménagement de cette région car depuis toujours, dans le Var comme dans l'ensemble de la Provence on a cherché à faire venir l'eau là où elle n'était pas. Ainsi, «les importantes réserves d'eau de l'arrière pays alpin (Fontaine l'Evêque) font depuis longtemps l'objet de convoitises de la part des grandes métropoles côtières, mais les moyens techniques et peut-être encore plus les consensus sociaux (entre grandes villes et entre départements) ne sont pas en place pour que l'on puisse les maîtriser. L'eau reste avant tout une ressource locale, désirée, convoitée, parce que les sources sont rares dans la région.»[Marié, 1982 : p.45]. Ainsi l'eau est longtemps restée un produit du patrimoine, elle était sauvage et soit on en manquait, soit elle abondait, ce qui engendrait souvent des catastrophes. Cette eau on faisait avec, on a toujours essayé de la domestiquer mais les règles qui la régissaient n'étaient que des règles locales et il était très difficile de la contrôler de façon globale. En fait dès le XIXesiècle, de nombreux techniciens et ingénieurs se sont penchés sur la question de l'eau dans le Var et ils ont tous buté sur le problème de l'accès à l'eau et de sa diffusion équitable. Mais, à cause de la géographie accidentée du département du Var, il n'était pas possible de créer des réseaux capables de distribuer cette eau partout en même quantité. Dès lors, on rêve de créer des mini-barrages pour réguler les cours d'eau, mais la nature des cours d'eau varois (ils sont courts et tumultueux) ne permet pas de réaliser des édifices qui supportent la puissance des crues et les pluies torrentielles. On en est vite arrivé à la conclusion que dans le Var «le bricolage de l'eau»(pour reprendre un terme de M. Marié) n'est pas viable, il ne pouvait donc pas y avoir un traitement local et individuel efficace. A partir du XXesiècle, le problème de l'eau va devenir plus global, il va progressivement prendre une échelle plus large, si bien qu'il devra être résolu par ceux qui ont les moyens de domestiquer cette eau pour l'intérêt général.

Ainsi, la question de l'eau est le principal moteur dans l'histoire de l'aména -gement du Verdon, bien sûr elle est la principale raison avancée pour justifier les travaux, mais surtout cette eau tant désirée est le fruit d'une longue attente, à la fois sociale et économique. A travers cette domestication de l'eau, c'est le fonctionnement et l'avenir de toute une région qui se pose. On l'aura compris, ce contrôle de l'eau est à la fois le résultat d'une attente sociale au niveau local et d'une attente économique au niveau régional. Comme je l'ai précisé plus haut, dès le début du XXesiècle on projetait de construire un barrage sur le Verdon car «il paraît que la vallée pour tout bon observateur était le lieu propice pour la construction d'un barrage»[Latz, 1979 : p.16], ainsi de près ou de loin tout le monde pensait que ce projet était possible, même si on ne connaissait pas la forme qu'il prendrait. Mais, si l'idée d'un barrage dans la vallée du Verdon était connue depuis longtemps, les événements se sont déroulés suffisamment lentement pour que les habitants de la vallée ne s'inquiètent pas vraiment de ce qui se tramait. D'après M. Marié, à la veille de 1914 la vallée du Verdon, qui commence à être connue par quelques excursionnistes des villes côtières et à être «pénétrée par des ingénieurs envoyés en mission pour y préparer de grands projets hydrauliques, inventorier le fond des gorges, explorer les conditions hydrogéologiques des sous-sols et parfaire aux relevés cartographiques »[Marié, 1982 : p.102]. Toutefois à cette époque, l'idée du barrage est tellement incroyable que ces explorateurs et les éventuels projets qu'ils envisagent ne sont pas vraiment pris au sérieux. Mais en 1924, la société Schneider commence des travaux d'études pour l'éventuelle construction d'un barrage à la sortie des gorges, au lieu dit des «Anges». Le mythe du barrage devient de plus en plus palpable et un premier syndicat de défense est créé par les Sallois. Ainsi pendant la première moitié du siècle les habitants de la vallée savent que des projets sont en cours mais sans grande certitude «[le barrage] était pour les sallois comme une épée de Damoclès sur leur tête. On y croyait sans y croire et l'on n'osait rien entreprendre. Malgré tout la vie continuait»[Simian, p.6].

En fait, d'après M. A., l'idée du barrage devenait de plus en plus possible mais personne n'informait officiellement la population locale :«On se doutait bien que quelque chose se préparait, mais personne ne nous disait ce qu'ils comptaient faire avec certitude, il y avait bien des gens d'EDF qui venaient faire des études autour du site actuel du barrage, mais on nous disait toujours que c'était des tests et que rien n'était vraiment sûr..., d'après eux c'était toujours pour voir si c'était possible de constuire ou pas». Ainsi à partir de 1940, la société E.E.L.M puis Electricité de France, reprend le projet et commence les enquêtes de prospection. Mais malgré les nombreux indices qui transparaissent, la population locale ne veut pas vraiment y croire. «Face à ces menaces et au halo encore imprécis d'informations que l'administration distille, les réactions sont divisées et isolées. Alors que l'Etat avait pris de l'avance en coordonnant ses plans (Canjuers et les barrages dès les années 50), le corps social commence seulement à se rendre compte.»[Marié, 1982 : p.133]. C'est seulement en 1956, que la population de la vallée apprend que le barrage va être construit avec le début de l'enquête préalable d'utilité publique. En 1963, commence l'enquête d'utilité publique et EDF débute son travail de demande de concession. En 1968, le décret du 29 janvier déclare officiellement le projet d'utilité publique, cette date scelle en quelque sorte le destin de la vallée, désormais la population locale sait ce qui l'attend.

Les travaux préparatoires se déroulent du mois d'octobre 1969 au mois de décembre 1970, les travaux principaux sont réalisés à partir du mois de janvier 1971 et dureront jusqu'en juillet 1974, mais à partir du mois d'octobre 1973 débute la mise en eau du barrage. A l'origine le projet du barrage devait permettre de faire monter l'eau jusqu'à la cote 494, les villages de Sainte Croix, Bauduen et des Salles-sur-Verdon devaient être noyés. Toutefois, ce premier choix n'offrait pas des marges de sécurité suffisantes, principalement à cause de la résurgence de Fontaine l'Evêque, dont le réseau encore mal connu présentait le risque de faire siphon et donc que l'eau du barrage s'y écoule [Latz, 1979 : p.16]. Les ingénieurs décidèrent donc d'abaisser la côte à 482, ce qui sauva les villages de Sainte Croix et de Bauduen (même si la majeure partie de leur terres cultivables furent immergées).

Le village des Salles-sur-Verdon est donc le seul à être totalement englouti. Face à EDF les villageois décident de s'unir pour défendre leurs intérêts, car pour EDF le territoire du village étant rayé de la carte, sa reconstruction n'était pas envisagée. Dans la partie qui suit je vais tenter de montrer ce qui s'est passé au sein de la communauté salloise, car il me semble que cet événement joue un rôle important dans la vie du futur village.


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